Le digital remet en cause la manière de fonctionner des entreprises et les pousse à s’adapter en multipliant les modifications de leurs structures et process. Selon l’étude The Nine Elements of Digital Transformation publiée en 2013 par Cap Gemini et le MIT, les entreprises les plus avancées Digitalement, ou Digirati, sont plus rentables en moyenne de 26%. Ainsi, si elle devient un objectif stratégique évident, la transformation Digitale se double d’une problématique de recherche d’efficacité, qui s’exprime par la quête d’un unique partenaire dans cette transition. Si les acteurs sont encore à l’heure actuelle cantonnés à une activité précise, le mouvement conduit à gommer les frontières entre ESN, agences digitales et conseils en stratégie, en mêlant créativité, technologie et stratégie dans les mains d’un seul interlocuteur.
Des interlocuteurs différents pour une problématique unique et transversale
C’est un véritable bouleversement que doivent opérer les entreprises qui sont amenées à se transformer en profondeur (structure de l’entreprise, infrastructures, comportements...). Pour cela elles s’adressent à des acteurs que l’on peut encore aujourd’hui voir comme hyperspécialisés car travaillant uniquement dans leur domaine de compétences. Comme le relève Marco Tinelli, Président de l’agence Fullsix, les agences digitales s’efforcent aujourd’hui de « gérer un marketing plus intelligent, plus pertinent, plus créatif et aux effets plus mesurables sur l'ensemble des canaux qui sont eux-mêmes devenus digitaux », s’intéressant ainsi uniquement aux problématiques du marketing. De la même manière, la refonte des process informatiques d’une entreprise passe par une ESN tandis que les aspects de management/stratégie seront réalisés en coordination avec des conseils en management. Dans les faits, le processus de transformation Digitale, par le nombre d’acteurs qu’elle requiert, témoigne pour les entreprises d’un processus lent et coûteux. L’absence de solutions « all inclusive » est donc à la source d’un manque de flexibilité pour les entreprises.
Les enjeux de cette transformation ont été intégrés par les entreprises et ont remontés la chaîne de décision pour atteindre les directions générales. En effet, l’impulsion digitale provient maintenant des dirigeants et non plus uniquement des DSI et des directeurs marketing, preuve que le Digitale est devenu un enjeu crucial. Comme le considère Manuel Diaz de EMAKINA « On a pensé que cela reposait sur des nouvelles technologies, ce qui est en fait faux. En réalité, il faut reconnaître que c’est une mutation culturelle, et on peut même aller plus loin en disant qu’elle est corrélée à une mutation de l’humain qui considère la technologie comme faisant partie intégrante de ses capacités ».
Face à la montée du Digitale, l’étude du MIT souligne 3 chantiers principaux :
- «L'expérience client : s’adresse naturellement aux agences de communication
- Les process opérationnels : s’adressent aux ESN
- Les « Business Models » : s’adressent aux cabinets de conseil en management/stratégie
Le but final est de répondre à un maximum de problématiques pour les entreprises, comme le révèle cette même étude : “Digital transformation used for analytics, mobility, social media and smart embedded devices as well as improving their use of traditional technologies such as ERP to change customer relationships, internal processes and value proposition.”
Chacun de ces leviers est aujourd’hui activé par un acteur externe, d’où la difficulté du processus de transformation pour les entreprises. La complexité de ces enjeux, associée à la volonté de maîtriser les coûts incite cependant les donneurs d’ordres à sélectionner un seul intervenant capable de les accompagner sur l’ensemble du cycle de vie de la transformation digitale.
Une diversification des compétences indispensable
Ce besoin nouveau pousse ces acteurs à diversifier leurs compétences via des mécanismes différents.
Tout d’abord, la création de nouvelles unités au sein des entreprises afin de rassembler plusieurs métiers est assez répandue. Les conseils en management/stratégie sont les plus actifs dans ce domaine. Cette propension s’explique selon Manuel Diaz par la nécessité « d’avoir une compréhension des agences digitales » afin « accompagner les comités exécutifs pour les amener à comprendre ce qui change dans leur entreprise ». L’exemple le plus récent est Accenture avec le lancement en 2013 de sa filiale Accenture Digital qui reprend trait pour trait les services offerts par une agence digitale. L’objectif est clair : allier ses compétences historiques d’ESN et de conseil à un nouveau métier qui rendra l’entreprise plus pertinente auprès des clients. Pour cela elle s’imposera comme interlocuteur unique pour réaliser l’ensemble des étapes de la transformation Digitale du client. « Accenture s’est doté d’une nouvelle plate-forme de croissance avec le lancement d’Accenture Digital, pôle intégrant les solutions Digitales, les logiciels et les services de l’entreprise dans les domaines du marketing Digital, de la mobilité et de l’analyse des données afin d’aider ses clients à libérer le potentiel du Digital pour doper leur croissance et identifier de nouveaux leviers de création de valeur. » La création de cette Business Unit intervient suite à deux acquisitions ciblées AvVenta Worldwide(2012) ainsi que Fjord (2013), agences spécialisées dans le marketing digital.
Moins commune, la voie des partenariats stratégiques/alliances est davantage utilisée par les agences de communication, qui historiquement n’ont pas une culture M&A aussi aboutie que dans le cas des ESN. Leur objectif prioritaire est de privilégier les relations avec des startups, universités ou PME sous forme de partenariats, dans une logique dite de coopétition. Fullsix par exemple, cherche à « dénicher auprès des startups des innovations et aider les clients à gérer la transformation Digitale – renforcer les liens avec les startups pour permettre à l’agence de dénicher de nouveaux produits. »
Publicis opte de son côté pour la prise de participation dans des start-ups prometteuses via son fonds d’investissement Iris Capital, spécialisé dans le digital. Ces investissements lui permettent d’être au plus près des innovations et de profiter de ces nouvelles découvertes.
Qui conduit surtout à un mouvement de consolidation inédit
C’est surtout un mouvement d’acquisitions de compétences qui se dessine via une logique de fusions-acquisitions. Ainsi en 2014, SQLI prend le contrôle de l’agence digitale belge Wax! Interactive afin de grossir l’éventail de solutions à destination de ses clients. « La transformation digitale est un gisement d’amélioration des produits, des services et donc des ventes mais également une source d’augmentation de la productivité et de réduction des coûts, d’optimisation des processus et de l’organisation et donc de la performance globale de l’entreprise » déclarent ainsi les dirigeants de SQLI.
De la même manière, GFI Informatique annonce début 2014 le rachat de l’agence de communication digitale Awak’It. « Les projets digitaux vont bientôt nécessiter une force de développement et de « delivery » à grande échelle » justifie le groupe.
Loin d’être seules conscientes de ces enjeux, les ESN rencontrent la concurrence des conseils en management. Deloitte Digital a notamment racheté successivement en 2012 et 2013 Übermind, spécialiste du marketing mobile ainsi que l’agence de social marketing Banyan, afin de renforcer ses compétences dans le domaine.
Les agences de communication souhaitent aussi de plus en plus représenter toutes les facettes de la transformation digitale. Comme le relève IT-expertise.com « Ces agences digitales qui entrent habituellement chez leurs clients par la porte des projets web, étendent leur services à toute la chaine de valeur du digital, autant en amont qu’en aval. Elles parviennent ainsi à concurrencer sérieusement les plus grandes SSII ».
Les frontières vont ainsi se brouiller et selon Manuel Diaz « dans le futur, le terme d’agence n’existera plus, mais plutôt celui d’agent de transformation, qui agit à différents niveaux : Le business model/stratégie, sur la technologie qui sera partout, la création qui sera indispensable pour donner de l’émotion ». S’il est évident que la consolidation apporte plus de business et de stabilité aux agents de transformation, elle leur permet aussi de rationaliser les processus et proposer aux clients de nouvelles solutions, plus complètes et transversales. En conséquence, la multiplication des fonctions et services externalisables concentrés en un seul interlocuteur permettra aux entreprises d’optimiser la plupart de leurs opérations (marketing, communication, SI...). Via l’externalisation de ses fonctions, le client pourra ainsi dégager un gain de productivité en se concentrant là où il est capable de créer le plus de la valeur, ses « core competencies ».
En outsourçant une part toujours plus importante de leurs fonctions, les entreprises ne s’exposent-elles pas à un risque accru de dépendance ? Si pour Manuel Diaz les entreprises gardent la main car « les annonceurs ont aujourd’hui plus que jamais les outils pour mesurer et apprécier au mieux le travail », le fait que ces agents émergent comme des partenaires uniques et donc privilégiés constitue un danger. La difficulté d’en changer couplée à la consolidation du secteur autour d’un nombre restreint d’acteurs pourrait à terme placer ces agents en position de force par rapport aux entreprises.
Quentin Molinié est Managing Partner chez eCap Parner
Sources
1 : http://sloanreview.mit.edu/article/the-nine-elements-of-digital-transformation/
7 : http://www.it-expertise.com/quand-le-commerce-le-digital-challengent-lecosysteme-it/