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Marché du livre audio : croissance, IA et point Godwin

Le marché des livres audio ne connait pas la crise, avec une croissance de 25% en 2021 aux Etats-Unis et déjà 10 Millions d’audio-lecteurs en France. Le nombre d’audiobooks disponibles est en forte croissance pour satisfaire un marché plus diversifié et rajeuni. Alors on fait le point sur les leviers du marché du livre audio, les acteurs en présence et le rôle que joue déjà l’Intelligence Artificielle au cœur de cette histoire. Avec les perspectives de marché offertes par les voix synthétiques mais aussi les dérives possibles.

(Image : photo Stas Knop, de Pexels)

Les ventes du livre audio explosent depuis la pandémie

En 2021, le marché des livres audio (audiobooks) a connu une croissance de 25% aux Etats-Unis. C’est en fait la 10ème année de suite que ce marché connait une croissance à deux chiffres, mais son précédent record de croissante était de 12% en 2020. (source étude annuelle de l’Audio Publishers Association - APA, qui représente les 28 plus gros acteurs du secteur aux Etats-Unis).

En France, on estime à 10 millions le nombre d'audio-lecteurs (chiffres 2021 selon le Syndicat national de l'édition (SNE), la Sofia (l'organisme de gestion collective du droit de prêt en bibliothèque) et la Société des gens de lettres). Soit 8,7 % de hausse par rapport à 2020. Le marché hexagonal est estimé à 100 millions d'euros (selon Serge Torossian, responsable France de Storytel, groupe suédois pure-player du livre audio qui vient de se lancer en France en septembre 2022. Détails dans Les Echos).

La taille mondiale du marché du livre audio est évaluée à 5.36 Milliards de dollars en 2021. Il devrait connaitre une croissance annuelle de 26.4% de 2022 à 2030, pour atteindre 35 Milliards de dollars. (Source : Grand View Research)

Qu’est ce qui explique cette croissance des audiobooks?

On peut rattacher la croissance du livre audio à celle des services de streaming audio et vidéo sur abonnement. Car les principaux acteurs du marché proposent en fait des offres sur abonnement. Enfin l’audiobook est aussi porté par le marché des smartphones (45% des écoutes), des objets connectés (IOT) (des montres connectées aux assistants domotiques comme Alexa et Google Home), et les systèmes de divertissement embarqués dans les véhicules.

Cette croissance est entretenue par une augmentation significative du nombre de titres publiés. Rien qu’aux Etats-Unis, plus 6% de 2020 à 2021 avec près de 74000 nouveaux titres. Les catégories les plus populaires : science-fiction et fantasy, suivis de près par la catégorie « mysteries/thrillers/suspense Â». A noter, une explosion des ventes dans la catégorie « romance Â», avec plus 75% de revenus. 

Enfin, l’audience des livres audio s’élargit et se rajeunit. Ainsi dans son étude annuelle, l’APA a détecté que 61% des parents ont des enfants (de 17 ans et moins) qui écoutent des audiobooks, contre 49% en 2020. Un public en âge scolaire qui a pu ainsi trouver des ressources éducatives disponibles sur internet pendant la pandémie.  C’est d’ailleurs le marché des jeunes qui devrait connaitre la plus forte croissance de 2022 à 2030, de 29%. Avec la promesse de soutenir les résultats académiques des élèves.

Qui sont les principaux acteurs du marché de l’audiobook ?

Au niveau mondial, les principaux acteurs du marché du livre audio sont : Amazon / Audible (USA), Apple (USA), Barnes & Noble (USA), Downpour (USA), Google Play Books (USA), Kobo (Rakuten Group, Japon), Storytel (Suède), W.F.Howes (UK).

Audible, et sa maison mère Amazon, contrôleraient 63.2% du marché de l’audiobook aux Etats-Unis. Une estimation de Wordsrated qui a mesuré que sur les 5 dernières années la croissance d’Audible a été de 54.6%. Audible est en fait à la fois distributeur et éditeur d’Audiobooks, et représente déjà 4.2% du gigantesque marché édition d’Amazon (de 28 Milliards de dollars annuels).

Mais il reste de la place pour de nombreux acteurs au niveau mondial, y compris des acteurs de niche sur différentes zones géographiques.

Parmi les nouveaux entrants, Spotify, qui a annoncé le 20 septembre 2022 la disponibilité de 300 000 audiobooks pour ses clients américains. L’offre est disponible sans abonnement par achat à l’unité. Depuis, l’offre a été étendue au Royaume-Uni, à l’Irlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

(Source : Spotify)

En France, on peut citer Audiolib (co-entreprise entre Hachette Livre et Albin Michel), Frémeaux & Associés (éditeur de la librairie sonore, spécialiste des contenus patrimoniaux), Editis avec sa marque Lizzie (groupe Vivendi, mais en cours de revente, fédère 53 maisons d’édition dont Robert Laffont, Plon, Bordas, 10/18) ou encore Gallimard avec sa collection Écoutez lire. (Plus de plateformes françaises listées par Actualitte)

L’IA transforme le marché de l’audiobook

Difficile de trouver un secteur d’activité qui ne soit pas impacté par l’Intelligence Artificielle. Le livre audio se transforme aussi avec notamment les voix artificielles (ou « voix synthétiques Â»). Car les technologies de synthèse vocale (Text-to -speech et Speech-to-text) ont énormément progressé et se sont démocratisées.

En janvier dernier, Apple en a d’ailleurs profité pour lancer un catalogue de livres audio lus par une intelligence artificielle. Une démarche faite relativement discrètement mais qui soulève déjà de grosses interrogations sur le futur des métiers de la voix. The Guardian titrait ainsi sur « la mort du narrateur ? Â». Pour le moment, de nombreuses maisons d’éditions pensent que ces voix artificielles ne sont pas ce que les lecteurs attendent. Car elles n’amènent pas le talent de narration et d’émotion d’une voix humaine. Certaines voix sont accessibles en test sur le site d’Apple.

Mais des éditeurs (et des auteurs auto-édités) voient aussi l’intérêt économique d’accélérer et de rendre moins couteuse la transformation d’un livre en audiobook avec une IA. De plus, l’IA est aussi utilisée pour optimiser le processus de production des audiobooks, même lorsque les voix sont bien humaines. Des algorithmes permettent en effet d’éditer et optimiser les enregistrements et ainsi de réduire les temps et coûts de production des livres audios.

(Source Apple)

On notera que ces technologies d’IA sont aussi utiles pour rendre accessibles aux malvoyants des livres existants en les convertissant en fichiers audio. Enfin les logiciels de traduction utilisant l’IA sont aussi largement utilisés pour accélérer la disponibilité des livres dans différentes langues (avec des résultats souvent mitigés car la traduction littéraire reste un art). Enfin l’IA ce sont aussi les algorithmes de recommandation qui personnalisent les messages en fonction de l’historique d’écoute des consommateurs.

La résistance est-elle futile ?

Reste donc à savoir quelle place l’IA va continuer de prendre dans le marché des livres audio et d’autres productions audio-visuelles. Autant dans les coulisses de la production artistique que sur le devant de l’affiche. Et quelle résistance elle va rencontrer.

Ainsi dans l’industrie du cinéma et du jeu vidéo, les acteurs de voix (voix off et voix de doublage) rencontrent déjà régulièrement de nouvelles formes de contrat qui leur demandent de céder les droits de leur voix. Une IA pourrait ainsi les remplacer pour de prochaines productions, avec ou sans compensation pour de futurs projets.

Pour de nombreux acteurs, cette démarche montre un manque de respect pour leur art, comme ils l’expliquent dans cet article de Motherboard (Vice). De plus, le manque de contrôle et d’éthique dans la synthétisation des voix peut mener à des dérives. Ainsi des membres de 4Chan ont fait le test de « cloner Â» la voix de l’actrice Emma Watson (Hermione dans Harry Potter) pour lui  faire lire le livre nazi « Mein Kampf Â». Un message de prévention face à l’IA qui atteint donc directement son point Godwin mais qui a le mérite d’être efficace.

Les cinéphiles se souviennent peut être aussi du film d’anticipation « Le congrès Â», sorti en 2013. L’actrice Robin Wright (qui joue son propre rôle), s’y voit proposer par la compagnie hollywoodienne « Miramount Â» d'être scannée. C’est son alias (ou « avatar Â»), éternellement jeune, qui sera exploité dans de prochains films, y compris des projets plus commerciaux qu’elle aurait auparavant refusé. Un film prophétique sur l'IA mais aussi sur les dérives du métavers, car on y découvre un monde qui a basculé dans une illusion ou hallucination permanente.

Séverine Godet

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